23/05/2007
DANS L'INTIMITE DE L'«OEUF»
Olivier Seguret /Liberation
On l'avoue sans fard : on ignorait tout, hier encore, du réalisateur turc
Semih Kaplanoglu. Ce cinéaste quadragénaire, critique d'art à ses heures
pour le quotidien stambouliote Radikal, manigance l'intrigant projet d'une «Trilogie
de Yusuf» (OEuf-Lait-Miel) dont voici le premier volet.
Elégant. Yumurta («oeuf»), donc, est l'histoire d'un fils en deuil
de sa mère et qui revient dans sa campagne natale pour l'enterrer. Dans la
maison familiale, il trouve la jeune et belle Ayla, une inconnue que sa mère
avait installée à demeure depuis quelques années pour, suppose-t-on,
l'assister. Ayla (la très bonne et très belle jeune actrice Saadet Isil
Aksoy) est l'objet de toutes les convoitises de la part d'un jeune et bel
électricien voisin, dont elle n'a cure. Comme beaucoup d'autres gens du
village, Ayla voue une admiration muette et fascinée à Yusuf qui, lui, vit
dans la grande ville, possède une librairie et a eu l'honneur de quelques
articles flatteurs dans la presse turque lorsque ses premiers travaux en
poésie furent publiés. Car Yusuf s'est longtemps rêvé écrivain, mais le
poète n'aimait pas ce qu'il écrivait, et il a donc reposé définitivement sa
plume.
Formellement, Yumurta développe ce que l'on est tenté d'appeler un style
turc, si une telle chose existe, qui l'apparenterait facilement au maître
Nuri Bilge Ceylan : amplitude des cadres, élégie du paysage, lenteur et
précision, temps laissé au temps... Il ne possède sans doute pas encore
toutes les ressources démiurgiques du metteur en scène des Climats, mais son
oeil est celui d'un incontestable cinéaste, dont l'affût élégant, la
patience embusquée, sont légitimement récompensés : souvent, au terme de ses
plans très soignés et qu'il scande avec une rigueur toute classique, une
indéfinissable étincelle froide vient placer sa couronne ciné.
Humanité. Au cours des
brèves journées d'un hiver turc splendide et mordant, la tendre caméra de
Semih Kaplanoglu accompagne Yusuf (impeccable et attachant Nejat Isler) dans
tous les replis de son intimité mentale : cauchemars, frayeurs, apoplexie
mais aussi rêveries, sensualité, esquisses de sourires bienveillants. C'est
cette calme tempête d'humanité qui emporte assez vite le morceau : Yumurta,
que l'on pourrait définir comme le beau retour du fils pas du tout prodigue
ni prodige, est un film au très grand charme qui réussit à emballer sans ne
jamais nous faire de l'oeil.
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